La cabale est la science de la structuration de l'énergie, telle qu'on la concevait en des temps reculés.
Le Sepher Yetsira est le précis fondamental de cette science. Selon toutes les apparences, la pensée scientifique contemporaine, riche des acquisitions de la recherche, rejoint cet ancien mode de pensée sur des plans fondamentaux qui sont :
a) la recherche des structures et l'étude comparative des phénomènes en fonction de catégories de structures ; b) la recherche de définitions basées sur la situation des phénomènes dans des ensembles ; c) un classement analogique des phénomènes et la recherche de leurs rapports horizontaux. Notre époque retrouve ainsi l'esprit de la cabale, sans s'en douter, à la façon dont M. Jourdain faisait de la prose, et s'imagine inventer une toute nouvelle épistémologie. Mais celle à laquelle on pense n'embrasse encore que les sciences objectives. La connaissance de l'homme intérieur, de la conscience humaine, malgré les approfondissements qui caractérisent l'évolution de la psychologie, se heurte au mystère de l'être et de l’existant, et — à bout de course — finit par se faire ramasser, soit dans des mythologies, soit dans la notion chère à certains de nos plus illustres savants, que l'homme n'a aucun rôle dans l’univers.
La cabale, telle qu'elle est exposée dans le Sepher Yetsira (compte tenu de ses inévitables archaïsmes) comble ce vide de la pensée contemporaine, qui est en voie de devenir une cause de désordres psychiques et sociaux. Elle le comble au moyen d'une extraordinaire invention linguistique, dont il faut ici dire quelque chose. Nos mots habituels n'ont aucun lien de réalité avec ce qu'ils désignent. Ainsi que le dit Ferdinand de Saussure, le « signifiant » bœuf n'a aucun lien avec le « signifié » : l'animal en question. Mais, conformément à une convention sociale, chaque mot d'une langue évoluée désigne avec exactitude un phénomène connu. Si le phénomène n'est pas connu, on le « définit » au moyen de termes se rapportant à des connus.
Si, toutefois, la cause d'un phénomène est inconnue, on n'a pas de mots pour la désigner. Or il se trouve que la cause des causes de tout ce qui existe (de l'univers et de la notion d'être) est inaccessible à ce langage, donc à la pensée, laquelle en est tributaire. Malades d'être mystères dans un mystère total, les psychés ont recours à des mots sans contenu, explications qui, faute d'expliquer quoi que ce soit, provoquent les stases cérébrales que sont les croyances religieuses. La cabale, au moyen de signes analogues à notre alphabet et à nos signes mathématiques, mais dont les signifiés sont des données immédiates de la conscience, pose des équations se rapportant à la vie et à l'existence dans les différentes sphères de la manifestation. Elle les pose de telle sorte que ces équations sont leurs propres solutions, car elles projettent le mouvement de leurs signifiés, d'abord dans la pensée, puis dans la psyché — à condition que celle-ci se présente à l'état de neuf.
Au cours des siècles, la cabale a été perdue du fait des cabalistes eux-mêmes. Les meilleurs d'entre eux ont délibérément jeté un voile sur une connaissance qu'il était dangereux d’exposer. D'autres, moins avancés dans la gnose, ont confondu les signes des équations de cette science avec l'alphabet d'un idiome juif ; lequel s'est constitué en oblitérant ses origines ontologiques hébraïques. Ils se sont servi de cet idiome pour projeter sur l'antique connaissance (qui se réfère à Abraham et ignore Moïse) des interprétations touffues, obscures, extravagantes, qui n'ont rien de commun avec l’enseignement originel. Les historiens de l'école rationaliste du siècle dernier (qui fait encore autorité) n'y ont ajouté que de la confusion.
La cabale a fini par devenir synonyme de ce qui est incompréhensible, mystérieux, occulte, mystique, magique, archaïque, absurde et inutile. Il est temps de déblayer : notre époque a besoin de retrouver cette source.
À cet effet, mieux vaut ne pas trop étudier l'idiome qui passe pour être la langue sacrée, mieux vaut ne rien savoir et ne rien croire, car la source est toujours neuve.